Une longue tradition associe l’élévation et la vue aérienne
aux exercices de méditation sur le sens de notre vie ici bas et sur le
peu de prix des choses de ce monde comparées aux fins dernières de
l’homme. Or curieusement, le projet de Shigeko Hirakawa s’inspire, de
son propre aveu, de vues prises du ciel qui permettent de révéler
l’existence de vestiges dont les formes sont invisibles du sol. Ce
détour par le ciel, bien connu des cosmographes, de l’Antiquité à la
Renaissance, est parfaitement en correspondance avec le propos de
l’artiste qui installe sur le site de l’abbaye ce qu’elle appelle un «
labyrinthe de méditation. »
Shigeko Hikarawa pousse très loin le jeu des correspondances : la
structure octogonale des tours de l’abbaye évoque celle du « Pavillon
des rêves » construit à Nara, l’époque de l’édification de l’abbaye
correspond à peu près à celle du Temple Hôryû-Ji où fut construit ce
pavillon, la méditation propre aux moines bénédictins renvoie à celle
des adeptes du Bouddha et le japonisme français du XIX°
siècle à la restauration du shintoïsme au Japon qui s’accompagna de la
destruction des symboles et des lieux de culte bouddhistes.
L’installation se veut alors une sorte de lieu de mémoire et un hommage
à la tentative d’Emile Guimet, dont un musée célèbre porte aujourd’hui
le nom à Paris, pour sauver des pièces majeures de la sculpture
japonaise religieuse, tentative incomprise alors puis oubliée, même si
le nom de Guimet est aujourd’hui célèbre. En restaurant la mémoire de
cet épisode important pour la culture japonaise, Shigeko Hirakawa
invente littéralement le lieu puisqu’elle met en évidence de faux
vestiges que de nouvelles plantations sont sensées avoir révélé selon
les principes bien connus de l’archéologie aérienne des Soil marks ou
des Shadow sites et qui permettent, en raison de l’humidité ou de la
croissance des végétaux, de détecter leur présence.
C’est alors une sorte de parcours initiatique qui nous est
proposé dans le temps et dans l’histoire où se superposent l’Orient et
l’Occident, le mandala et le labyrinthe pour conduire chacun à sa
manière en lui-même et mieux comprendre qu’il n’est que l’élément
périphérique d’un centre bien plus lointain auquel il est relié
spirituellement comme par la pointe d’un rayon infini. L’arbre de la
sagesse que l’on retrouve aussi bien dans nos cultures que dans celles
de l’Extrême-Orient symbolise cette destination ultime qui nous fait, à
travers la nature en général ainsi symbolisée, mieux accéder à notre
propre nature dont l’identité au terme de ce parcours peut nous
apparaître plus douteuse, voire tout simplement perdue.
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